Je suis accueilli dans la roulotte par un homme vêtu d’un caftan. Le vêtement couvre l’essentiel de son corps, mais ses bras desquels ressortent des veines violacées, son front ridé surplombant des yeux injectés de sang, tout révèle une vie longue, emplie de maléfices. Je m’installe à sa table sur laquelle il étale une dizaine de cartes faces cachées. C’est avec elles que je vais jouer. Pour l’essentiel de Hand of Fate 2 je ne vais pas quitter cette table, mais je vais quand même voyager.
Voyager, déjà, car la roulotte est en mouvement, en destination vers notre destination finale. Mais aussi par les
précédentes aventures de mon héros, amnésique, qui va les revivre grâce au jeu de la Vie et de la Mort, proposé
par le maître du jeu m’ayant accueilli. Mon hôte pose sur la table une figurine me représentant, et je vais la
déplacer de carte en carte. Arriver sur l’une d’entre elles la retourne et révèle une image accompagné d’un texte
à choix, style livre dont vous êtes le héros. Parfois, un évènement me met au défi par un jet de dé ou un
bonneteau.
À d’autres occasions, un combat a lieu, et je suis transporté sur le lieu de la bataille. Les mots et les dés sont
remplacés par épées et masses, la réflexion par de l’action. Le mini-jeu de combat est assez simple, on tape sur
les ennemis, on pare, on riposte et on esquive avec des roulades (j’adore les roulades).
Une autre mécanique centrale de Hand of Fate 2, c’est la construction de deck. Le jeu est découpé en une dizaine de challenges, des chapitres de l’histoire imposant chacun une structure différente. Un challenge contient des cartes (et donc des évènements) prédéfinis, mais les cartes choisies par le joueur permettent d’accéder à d’autres rencontres. Avant de lancer un challenge, le jeu donne des infos à son sujet : peut-être que les ressources de nourriture y sont rares, ou bien il est difficile d’y récupérer des points de vie. Il faut donc construire un deck contrebalançant les défis proposés par la mission, avec des cartes offrant les bonus nécessaires.
Car le jeu impose également une gestion des ressources. Au-delà des pièces d’équipements à acquérir, il faut gérer les points de vie de notre héros, ses stocks de nourriture, son argent et sa notoriété. À la suite d’un évènement malheureux ou d’un combat mal géré, les points de vie diminuent, et il faudra utiliser un objet ou atteindre une nouvelle carte offrant du regain de vie. Ou bien consommer une ration de nourriture. Les victuailles permettent de récupérer un peu de vitalité, mais sont également indispensables pour préserver sa santé : chaque déplacement en consomme une unité, qui est remplacée par une perte de vie lorsque le stock tombe à zéro. Une mauvaise gestion peut ainsi mener à une mort de faim. L’argent permet d’acheter des rations et de l’équipement, et la notoriété, obtenue lors de succès dans certains évènements, est indispensable pour équiper certains objets de plus hauts niveaux.
Ce mélange de mécaniques fonctionne particulièrement bien. Le deckbuilding, les combats, l’exploration d’un livre
dont vous êtes le héros… Pris individuellement, ces éléments auraient pu mener à un jeu sympathique (sauf
peut-être les combats, répétitifs, qui deviennent lassants par moments). Mais une fois tous combinés, ils se
subliment les uns les autres. Le tout est lié par une ambiance très réussie : les bruit de la roulotte en
mouvement et de la tempête en cours nous viennent de l’extérieur, le narrateur fait régulièrement des commentaires
d’un ton cassant, et la douce musique complète le tout.
C’est aussi le scénario qui contribue à cette ambiance, avec l’histoire d’un monde fantastique où l’usage de la
magie est condamné et ses créatures chassées par une faction impériale. On y croise des gobelins cachés sous
terre, on s’allie occasionnellement à une guilde de voleur, on voyage avec un paria renié par son clan nordique…
Rien d’extravagant, mais tout fonctionne très bien et donne envie d’en découvrir plus.
La découverte est justement l’un des plaisirs de Hand of Fate 2. Certaines rencontres sont associées à un jeton qui, une fois obtenu, débloque de nouvelles cartes (tel un sachet d’autocollants Panini). Pour le débloquer, il faudra accomplir une action secrète. Parfois évidente (réussir le lancer de dés imposé par exemple), ces conditions sont parfois plus mystérieuses, ou nécessitent de revisiter la carte plusieurs fois. Certaines pièces d’équipement sont également équipés d’un jeton, comme par exemple ce bouclier qui demande de recevoir 50 coups durant des combats, ou ce masque sommant d’obtenir 30 succès aux défis de bonneteau. On se retrouve ainsi avec un jeu dans le jeu, où l’objectif est de comprendre ce qui est attendu de nous, puis de réussir à l’exécuter.
Le jeu a quelques défauts. Comme mentionné plus tôt, les combats sont redondants, et ils peuvent être vus comme une corvée lorsqu’ils sont imposés sans récompense à la clé. Une poignée de missions sont répétitives ou un brin trop ardues (source de frustration lorsqu’une mort survient après une heure de jeu). Cela pousse à méticuleusement optimiser le deck au début de chaque partie, mais aussi à espacer les sessions de jeu afin de ne pas successivement reparcourir la même tranche de jeu.
Globalement, Hand of Fate 2 est une réussite. Sa roulotte est confortable et cocooning comme le salon d’une
instagrameuse, son univers et son gameplay sont efficaces et cohérents, et le tout transporte efficacement le
joueur. Ses mécaniques poussent à un completionism et une collectionnite gratifiante, offrant régulièrement de
nouvelles saynètes avec élégance, sans que ce ne soit perçu comme le grind abusif que l’on trouve aujourd’hui dans
trop de titres.
Après avoir fini l’aventure, il me reste le désir de voir ce que le jeu me cache encore, finir les quêtes que je
n’ai pas encore découvertes, m’essayer aux DLCs ou au premier épisode de la saga. Malheureusement, pas de Hand of
Fate 3 pour moi. Malgré sa créativité, Defiant, le studio à l’origine du jeu, a fermé ses portes en 2019.